Les précurseurs (avant 1811)[]
Bornes milliaires le long de la Via Domitia à Beaucaire. (c) G.E.
- L'existence de grandes routes à travers le territoire français est attestée depuis l'époque des Romains qui ont laissé d'innombrables vestiges et des axes encore utilisés de nos jours. Ces grands itinéraires étaient jalonnés de bornes miliaires, cartographiés (Table de Peutinger) mais ils n'étaient pas numérotés.
- Le Moyen-Age voit l'abandon de ces grands axes et il faut attendre la Renaissance et des hommes comme Henri IV et Sully pour que de grandes routes soient définies et entretenues en tant que "chemins royaux". Grâce aux travaux de Cassini puis Trudaine, les grandes routes (toujours non définies explicitement) sont cartographiées avec une certaine précision. Des nomenclatures, parfois très précises, apparaissent au niveau de certaines provinces.
- Bien souvent, la dénomination des grandes voies est claire mais leur cheminement effectif fluctue. Aussi, une instruction du 13 juin 1738 donne des consignes : "sans qu'il soit permis [...] de donner les dénominations qui leur conviennent aux chemins qui pourraient tendre, par des passages détournés ou inusités, aux mêmes points où tendent les chemins ordinaires et fréquentés".
- Le même texte définit cinq classes de routes : la 1ère correspond aux "grandes routes" conduisant de Paris aux grandes villes, aux ports de mer et aux frontières, ayant postes, messageries et coches publics ; la 2ème classe définit les "routes" allant de Paris aux capitales de province non traversées par les grandes routes ; la 3ème classe correspond aux "grands chemins" allant de Paris ou des capitales de province à d'autres villes, et ayant postes ou messageries ; la 4ème classe forme les "chemins royaux" de ville à ville non capitale, ayant voitures publiques ; la 5ème classe regroupe les "chemins de traverse" de ville à ville, sans postes ni messageries.
- Un arrêt du Conseil d'État en date du 6 février 1776 réduit à quatre les classes de routes au niveau national. Il rédéfinit les routes royales en fonction de leur rôle et leur assigne une largeur variable (voir ci-dessous). En revanche, il ne fixe pas de nomenclature précise pour les routes concernées par le texte et c'est là le défaut majeur des textes de 1738 et 1776 : l'absence de traduction spatiale des grandes routes.
Arrêté du conseil du 6 février 1776 |
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Arrêt du Conseil D'État, du 6 février 1776, qui réduit à quarante-deux pieds la largeur des routes principales, et prescrit des règles pour fixer la largeur des routes moins importantes.
Le roi s'étant fait représenter l'arrêt du Conseil du 3 mai 1720, qui fixe à soixante pieds la largeur des chemins royaux, Sa Majesté a reconnu que, si la vue de procurer un accès facile aux denrées nécessaires pour la consommation de la capitale, et d'ouvrir des débouchés suffisants aux villes d'un grand commerce, avait pu engager à prescrire une largeur aussi considérable aux grandes routes, cette largeur, nécessaire seulement auprès de ces villes, ne faisait, dans le reste du royaume, qu'ôter des terrains à l'agriculture sans qu'il en résultât aucun avantage pour le commerce. Elle a cru qu'après avoir, par là suppression des corvées et celle des convois militaires, rendu aux hommes qui s'occupent de la culture des terres la libre disposition de leurs bras et de leur temps, sans qu'aucune contrainte puisse désormais les enlever à leurs travaux, il était de sa justice et de sa bonté pour ses peuples de laisser à l'industrie des cultivateurs, devenue libre, et à la reproduction des denrées, tout ce qu'il ne serait pas absolument nécessaire de destiner aux chemins pour faciliter le commerce. Elle s'est déterminée, en conséquence, à fixer aux grandes routes une largeur moindre que celle qui leur était précédemment assignée, en réglant celle des différentes routes suivant l'ordre de leur importance pour le commerce général du royaume, pour le commerce particulier des provinces entre elles, enfin, pour la simple communication d'une ville à une autre ville, etc. A quoi voulant pourvoir, ouï le rapport du sieur Turgot, etc. Sa Majesté ordonne ce qui suit : Art. Ier. Toutes les routes construites à l'avenir, par ordre du roi, pour servir de communication entre les provinces, les villes et les bourgs, seront distinguées en quatre classes ou ordres différents. La première classe comprendra les grandes routes qui traversent la totalité du royaume, ou qui conduisent de la capitale dans les principales villes, ports et entrepôts de commerce. La seconde, les routes par lesquelles les provinces et les principales villes du royaume communiquent entre elles, ou qui conduisent de Paris à des Villes considérables, mais moins importantes que celles désignées ci-dessus. La troisième, celles qui ont pour objet la communication entre les villes principales d'une même province, ou de provinces voisines. Enfin, les chemins particuliers, destinés à la communication des petites villes ou bourgs, seront rangés dans la quatrième. II. Les grandes routes du premier ordre seront désormais ouvertes sur la largeur de 42 pieds ; les routes du second ordre seront fixées à la largeur de 36 pieds ; celles du troisième ordre à 30 pieds. Et à l'égard des chemins particuliers, leur largeur sera de 24 pieds. III. Ne seront compris, dans les largeurs ci-dessus spécifiées, les fossés ni les empattements des talus ou glacis. IV. Sa Majesté se réserve et à son Conseil de déterminer, snr le compte qui lui sera rendu de l'importance des différentes routes, dans quelle classe chacune de ces routes doit être rangée, et quelle doit en être la largeur en conséquence des règles ci-dessus prescrites. V. Entend néanmoins Sa Majesté que l'article 111 du titre des chemins royaux de l'ordonnance des eaux et forêts, qui, pour la sûreté des voyageurs, a prescrit une ouverture de soixante pieds pour les chemins dirigés à travers les bois, continue d'être exécuté selon sa forme et teneur. VI. Entend pareillement Sa Majesté que dans les pays de montagnes, et dans les endroits où la construction des chemins présente des difficultés extraordinaires, et entraîne des dépenses très-fortes, la largeur des chemins puisse être moindre que celle ci-dessus prescrite, en prenant d'ailleurs les précautions nécessaires pour prévenir tous les accidents; et sera, dans ce cas, ladite largeur fixée d'après le compte, rendu au Conseil par les sieurs intendants, de ce que les circonstances locales pourront exiger. VII. La grande affluence des voitures aux abords de la capitale et de quelques autres villes d'un grand commerce, pouvant occasionner divers embarras ou accidents, qu'il serait difficile de pré venir si l'on ne donnait aux routes que la largeur ci-dessus fixée de 42 pieds, Sa Majesté se réserve d'augmenter cette largeur aux abords desdites villes, par des arrêts particuliers, après en avoir fait constater la nécessité ; sans néanmoins que ladite largeur puisse être, en aucun cas, portée au delà de 60 pieds. VIII. Seront lesdites routes bordées de fossés, dans les cas seulement où lesdits fossés auront été jugés nécessaires, pour les garantir de l'empiétement des riverains, ou pour écouler les eaux; et les motifs qui doivent déterminer à en ordonner l'ouverture seront énoncés dans les projets des différentes parties de route envoyés au Conseil pour être approuvés. IX. Les bords des routes seront plantés d'arbres propres au terrain, dans les cas où ladite plantation sera jugée convenable, eu égard à la situation et à la disposition desdites routes; et il sera pareillement fait mention, dans les projets à envoyer au Conseil pour chaque partie de route, des motifs qui doivent déterminer à ordonner que lesdites plantations aient ou n'aient pas lieu. X. Il ne sera fait, quant à présent, aucun changement aux routes précédemment construites et terminées, encore que la largeur en excédât celle ci-dessus fixée; suspendant à cet égard Sa Majesté l'effet du présent arrêt, sauf à pourvoir par la suite, et d'après le compte qu'elle s'en fera rendre, aux réductions qu'elle pourra juger convenable d'ordonner. XI. Sera, au surplus, l'arrêt du 5 mai 1720 exécuté selon sa forme et teneur, en tout ce à quoi il n'a point été dérogé par le présent arrêt. |
- La Révolution survient qui met en danger les grandes routes en raison des manœuvres militaires et surtout d'une absence d'entretien. Conséquence de la loi du 24 fructidor an V (10 septembre 1797), le nombre de classes est ramené à trois : 28 routes partent de Paris et mènent aux frontières, 97 routes relient les grandes places de commerce et les frontières sans passer par Paris et les autres routes ont des vocations (inter)départementales. Le linéaire des deux premières classes représente 31.814 kilomètres.
- Dans l'esprit de l'époque, le retour à l'ordre passe par l'établissement d'une nomenclature des routes, c'est-à-dire d'une numérotation au sein de chaque classe des principales voies de communication. L'idée est de hiérarchiser l'attribution des crédits de construction et d'entretien au profit des axes partant de Paris et menant aux limites du territoire. Une première nomenclature est dressée dans cet objectif en partant de constations effectuées au sein de chaque département : désormais, les grandes routes auront une appellation et un numéro communs de leur origine à leur destination sur tout le territoire français. C'est l'objet de la circulaire du 20 ventôse an XI (11 mars 1803) (voir ci-dessous).
Extraits de la circulaire du 20 ventôse an XI |
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Les routes de la république n'ayant jamais été soumises à une nomenclature commune et à des définitions fixes, chaque département les indiquait par des dénominations différentes et par un ordre de numéros qui lui était propre, les désignations variaient même souvent au gré de l'administration locale; et lorsque tous les projets de dépenses étaient parvenus à l'administration centrale, il fallait, pour se reconnaître , soumettre toutes les définitions particulières à un ordre commun, et en faire une espèce de traduction qui entraînait un travail long, difficile et toujours rempli d'erreurs.
Un ordre nouveau commencera en l'an XI : les routes du premier et du second ordres viennent d'être tracées et numérotées sur une carte générale; elles sont, quant à présent, au nombre de cent quatre-vingt-six. L'inventaire en est arrêté ; il sera publié lorsque la carte aura été gravée, après avoir reçu toutes les rectifications dont elle est susceptible. De la carte générale a été déduite la carte particulière de chaque département ; les numéros de la grande carte sont exprimés dans les cartes des départemens; elle forment à ce moyen, une division immuable de la carte générale. Les routes soumises, comme je viens de le dire, à un ordre commun de numéros, le sont aussi à une nomenclature commune; mais comme la route qui traverse toute la république, et qui n'est désignée que par les noms des frontières ou des grandes villes auxquelles elle aboutit, ne serait pas clairement définie pour chacun des départemens qu'elle parcourt, il a été ajouté à la dénomination générale une définition particulière propre à chaque département. |
- La classification issue de ce travail novateur ne sera jamais réellement appliquée au point qu'il n'en reste presque aucune trace. En revanche, elle servira de support au fameux décret de 1811 institué par Napoléon Ier pour des raisons essentiellement... financières !